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Langue et identité pour les expats : la honte de mal parler, un miroir de soi

groupe de jeunes qui discutent
thananit_s / Envato Elements
Écrit parElodie Sengle 31 Octobre 2025

Vivre à l'étranger, c'est souvent se retrouver dans la position de celui qui cherche ses mots. Derrière les maladresses linguistiques ou les hésitations, il se jouerait bien plus qu'un simple apprentissage : une véritable mise à nu. Parler une autre langue, ce serait s'exposer au regard de l'autre, révéler ses limites, accepter une forme de vulnérabilité. Et ce serait aussi, bien souvent, réveiller une honte subtile : celle de ne pas dire « comme il faut », de ne pas être à la hauteur.

La langue, miroir de l'identité

D'un point de vue psychanalytique, la langue ne serait pas qu'un simple outil de communication : elle serait le lieu où se construirait l'identité. Depuis l'enfance, elle relierait le corps, les émotions et le monde. Elle porterait les sonorités de l'origine, la musique des premiers échanges. Parler une autre langue, ce serait parfois perdre cette familiarité intérieure, cette aisance qui nous donnerait le sentiment d'exister à travers la parole. Ce déplacement pourrait être vécu comme une perte de repères, voire de maîtrise — et donc comme une source de honte. La « honte linguistique » ne viendrait pas tant de l'erreur que du trouble ressenti lorsqu'on ne se reconnaît plus tout à fait dans sa propre manière de parler.

Beaucoup ressentent une frustration à ne pas pouvoir exprimer toute leur complexité dans une langue étrangère. Les nuances, l'humour, la subtilité semblent parfois s'échapper. D'autres, au contraire, trouvent dans cette langue une forme de liberté : elle permet de prendre de la distance avec des émotions trop chargées, de se protéger d'une intensité affective. Dans les deux cas, la langue agirait comme un espace de transformation psychique. Elle oblige à reformuler, à chercher d'autres mots, à se redécouvrir autrement. Parler dans une autre langue, c'est réinventer sa manière de se dire.

Ce serait aussi accepter de perdre le contrôle. Parler dans une autre langue confronterait à une forme de vulnérabilité : on ne maîtrise plus tout, les mots échappent, les phrases trébuchent. Mais cette faille pourrait aussi ouvrir un espace de liberté. Elle permettrait de laisser apparaître une part plus spontanée, moins défendue de soi. Là où le moi lâcherait prise, quelque chose du sujet pourrait émerger autrement : plus vrai, plus créatif, plus en lien avec son désir.

L'exigence de bien parler : une quête de reconnaissance

La volonté de parler parfaitement exprimerait souvent un besoin profond d'être reconnu. Bien parler, ce serait se sentir légitime, exister pleinement dans le regard de l'autre. Mal parler, c'est risquer le malentendu, l'exclusion, voire le ridicule.

Cette tension serait d'autant plus forte chez les expatriés, pour qui la langue pourrait conditionner l'intégration. Mais elle rejouerait aussi quelque chose de plus ancien : la peur enfantine de « mal faire », de décevoir, de perdre l'amour ou l'approbation. La honte linguistique serait alors une forme contemporaine de cette peur archaïque.

Du côté des parents, la honte linguistique se transmettrait souvent sans mots. Un parent qui se déprécie lorsqu'il parle dans la langue du pays d'accueil risquerait, malgré lui, de transmettre à son enfant l'idée que « parler imparfaitement, c'est mal ». À l'inverse, accepter ses erreurs, rire de ses hésitations, continuer à parler malgré tout, ce serait offrir à l'enfant un modèle de tolérance et de confiance. Apprendre une langue, c'est accepter d'être à nouveau débutant. Montrer cette vulnérabilité, ce serait aussi enseigner à l'enfant que la valeur d'un individu ne se mesure pas à la perfection de sa syntaxe, mais à sa capacité d'oser le lien.

Pourquoi les autres sont-ils si exigeants ?

L'intolérance face à un accent ou à des erreurs linguistiques traduirait souvent un rapport complexe à la différence. Celui qui juge se protégerait parfois de sa propre insécurité en rejetant sur l'autre ce qu'il ne supporterait pas en lui : la fragilité, la dépendance ou encore l'imperfection.

La langue, dans de nombreux contextes, serait aussi un marqueur social. Parler « bien » peut donner un sentiment d'appartenance ou de supériorité ; parler « mal » renvoie à une position de minorité. Derrière la critique linguistique se cacherait souvent une hiérarchie implicite : celle qui distingue ceux qui maîtrisent des autres, ceux qui « savent » de ceux qui « balbutient ». La honte linguistique serait alors douloureuse parce qu'elle toucherait au sentiment même d'appartenance.

Quelques repères pour apaiser la honte linguistique

  • Accueillir l'imperfection : la maîtrise vient du jeu, pas du contrôle.
  • Ne pas s'isoler : parler, même maladroitement, vaut mieux que se taire.
  • Rire de soi : l'humour désarme la rigidité narcissique et redonne du plaisir à parler.
  • Préserver la langue maternelle : elle reste un appui psychique, un espace d'ancrage.
  • S'entourer de bienveillance : dans la famille, le couple ou un espace thérapeutique, être écouté sans jugement restaure la confiance.

Habiter sa langue, habiter sa singularité

La honte linguistique dit quelque chose de profondément humain : le désir d'appartenir et la peur de ne pas y parvenir. Mais la langue n'est pas un examen à réussir — c'est un espace à habiter. Parler avec un accent, chercher ses mots, mêler les langues : tout cela fait partie de l'expérience de l'entre-deux. Plutôt que de vouloir « parler parfaitement », il s'agirait d'apprendre à parler pleinement — avec ses hésitations, sa couleur, son histoire. Car la véritable fluidité ne naît pas de la grammaire, mais du mouvement vivant de la parole. Apprendre à s'accueillir dans cette imperfection, c'est déjà retrouver une forme de liberté intérieure.Enfin, dans un contexte d'expatriation, il peut être bénéfique de conserver un lien vivant avec sa langue d'origine. Consulter un professionnel dans sa langue maternelle, même à distance, permet souvent de retrouver un espace intérieur familier, où les mots reprennent leur densité et leur justesse émotionnelle. Ce lien symbolique avec la langue du pays d'origine aide à maintenir la continuité psychique, peu importe où l'on est et où l'on va.

Sources :

Vie quotidienne
A propos de

Praticienne en psychologie d’orientation psychanalytique, Elodie Seng est spécialisée dans l’accompagnement des expatriés, enfants comme adultes. Son accompagnement repose sur une approche intégrative, c’est-à-dire qu’elle adapte ses outils et références thérapeutiques en fonction de chaque personne. Cette méthode lui permet de mobiliser différentes approches afin de proposer un espace sur mesure, centré sur les besoins de chaque personne, son rythme et sa singularité dans un cadre confidentiel et bienveillant.

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